
Source: Google Earth Data SIO, NOAA, U.S. Navy, NGA, GEBCO Image Landsat / Copernicus
(Tribune) Une vérité méditerranéenne qui dérange : Marées montantes et avenirs sombres
Annahar (LB), Youm7 (EG), Alrai (JO), Asssabah (TN), Renewable Matter (EU), ABC (ES)
18 novembre 2024, Bakou, Azerbaïdjan. La Méditerranée évoque des images de plages idylliques baignées de soleil et des eaux aux teintes vert de bleu. Des couchers de soleil époustouflants chatouillant des collines parsemées de pins et de villages blanchis à la chaux. Des éclats de rires montant des restaurants de bord de mer où sont servis des plats parfumés à l’huile d’olive, un incontournable de la diète méditerranéenne que nous aimons tous. Cette mer est une immense source de fierté pour les 22 pays qui la bordent, une part inextricable de leur identité et de leur patrimoine. Mais les dernières découvertes scientifiques brossent un tableau sombre, et renforcent ce que beaucoup d’entre nous pressentaient déjà à propos du changement climatique, mais que si peu semblent avoir pleinement mesuré. Combien de temps nous faudra-t-il encore pour comprendre que cette image de la Méditerranée, si chère à nos cœurs, pourrait disparaitre rapidement ?
Les experts méditerranéens sur le changement climatique et environnemental (MedECC), que l’Union pour la Méditerranée a fièrement contribué à créer et ne cesse de soutenir au fil des ans, ont attiré notre attention sur cette réalité en 2020 avec leur premier rapport d’évaluation sur la Méditerranée (MAR1). Dans ce rapport les experts nous informaient déjà que, non seulement les températures moyennes avaient dépassé la limite fixée par l’Accord de Paris, à savoir 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle, mais également que la région se réchauffait à un rythme 20 % plus rapide que la moyenne mondiale. En d’autres termes, ils nous affirmaient haut et fort que la Méditerranée est l’un des points chauds du réchauffement climatique. Quatre ans plus tard, ce réseau indépendant de scientifiques récidive avec ses deux derniers rapports : l’un traitant l’impact du changement climatique sur les zones côtières et l’autre sur le Nexus eau-énergie-alimentation-écosystèmes. À travers ceux-ci, ils nous lancent un avertissement cinglant et sans équivoque qui ne peut être décrit que comme une vérité qui dérange : « Les efforts déployés par les pays pour adopter des mesures d’atténuation et d’adaptation efficaces sont insuffisants pour promouvoir des avenirs souhaitables et vivables ».
Insuffisants pour promouvoir des avenirs souhaitables et vivables. Prenez le temps de vous imprégner de cette réalité. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Cela signifie que le niveau de la mer devrait s’élever d’un mètre d’ici la fin du siècle, ce qui suffira à saliniser de vastes plaines côtières et des deltas de fleuves fertiles comme le Nil, menaçant ainsi la sécurité alimentaire de millions de personnes. De plus, la hausse des températures associée à la pollution et à la surexploitation des ressources naturelles de la mer, détruit inévitablement nos écosystèmes. Ceux-ci deviennent ainsi la proie d’espèces envahissantes, entraînant à son tour une mortalité massive de la flore et de la faune marines indigènes. Cela signifie également que, parce que les grandes masses d’eau absorbent l’excès de chaleur, les tempêtes et donc les inondations deviendront encore plus fréquentes et encore plus puissantes. L’exemple terrible et récent de Valence, encore gravé dans nos mémoires, et les dévastations auxquelles nous avons assisté, deviendront un phénomène encore plus fréquent dans certaines parties de la Méditerranée. Enfin, dans une région où un tiers de la population vit déjà à proximité de la mer et dépend de ses infrastructures et des activités économiques qui y sont liées, cela signifie que de plus en plus de personnes vivant dans ces zones à la densité de population croissante seront exposées aux risques côtiers si nous n’agissons pas maintenant.
Je pourrais continuer à énumérer des faits, aussi accablants les uns que les autres. En somme, il n’y a pas d’échappatoire : même si le changement climatique peut sembler être un danger abstrait, une entité invisible qui plane au-dessus de nous et qu’il est facile d’ignorer ou d’oublier, il n’en reste pas moins une réalité inéluctable à laquelle nous serons tous contraints de faire face tôt ou tard. La richesse des connaissances dont nous disposons déjà, en partie grâce au travail inestimable du MedECC, devrait être plus que suffisante pour nous inciter à agir. Nous devons faire pression collectivement pour obtenir des changements juridiques, politiques et économiques transfrontaliers de grande ampleur, car c’est la seule façon pour nous tous de réaliser des avancées. Il convient de promouvoir des solutions faisant appel à des technologies innovantes, telles que les énergies renouvelables, ainsi que des solutions fondées sur les écosystèmes, comme la restauration des zones humides qui nous protègent contre l’érosion et les inondations. Les changements de comportement qui réduisent notre consommation d’énergie, notamment la réadoption généralisée de la diète méditerranéenne, sont également efficaces et nécessaires à la survie à long terme de notre espèce.
Ne pas reconnaître que la Méditerranée est l’une des plus vulnérables aux effets du changement climatique ou prétendre que cette menace existentielle très réelle n’existe pas ne rend service à personne. Nous ne pouvons pas non plus nous permettre de céder au désespoir ou à la paralysie. Il faut agir, et agir vite ; nos lendemains en dépendent. Reprenant la remarque récente du secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, il pourrait bien ne plus y avoir de « canot de sauvetage pour nous ramener à bon port » demain.

Grammenos Mastrojeni
Secrétaire général adjoint pour l’énergie et l’action pour le climat au Secrétariat général de l’Union pour la Méditerranée.